Les nouveaux projets iconoclastes des architectes du Grand Paris

Quelques lignes parues dans Le Monde, reprennent mon intervention au rassemblement organisée par l’AIGP vendredi 19 avril. La problématique étant comment habiter le Grand Paris.

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 Carte interactive des 650 projets architecturaux pour le Grand Paris, sur le site de l'Atelier international du Grand Paris. | Atelier international du Grand Paris

Carte interactive des 650 projets architecturaux pour le Grand Paris, sur le site de l’Atelier international du Grand Paris. | Atelier international du Grand Paris

Christian de Portzamparc le dit sans colère. “Le Grand Paris ne peut pas se résumer à un projet de grand métro enterré. Il faut inventer un projet intelligent en surface.” Jean Nouvel est plus amer : “Sarkozy s’est laissé enfermer dans le grand métro de Christian Blanc [ex-secrétaire d’Etat au Grand Paris] qui s’est livré à un sabotage évident du travail des architectes.” L’urbaniste Michel Cantal-Dupart l’affirme sans détour : “Les architectes sont les cocus du Grand Paris.” “Il y avait un rêve formidable. Il a disparu”, lâche, dépité, Roland Castro.

Les grands noms de l’architecture française ne cachaient pas leurs désillusions, vendredi 19 avril, dans les couloirs du Palais de Tokyo, dans le 16e arrondissement. Quatre ans après la “consultation internationale” lancée à la demande de Nicolas Sarkozy sur le Grand Paris, à laquelle ils avaient pour la plupart participé, ils ont pourtant accepté de remettre leur ouvrage sur le métier. A la demande de l’Atelier international du grand Paris (AIGP), ils ont présenté leurs idées pour “habiter le grand Paris”. Quinze agences d’architectes ont rendu publiques leurs solutions pour produire 70 000 logements par an soit un doublement de l’effort actuel, en Ile-de-France.

L’arrière-pays francilien sera le laboratoire du Grand Paris : la plupart des architectes en sont convaincus. Si l’architecte hollandais Winy Maas propose de surélever les toits des immeubles hausmanniens parisiens ; si Roland Castro reste un ardent militant de la la requalification des quartiers sensibles de banlieue ; ou si Richard Rogers et Elisabeth de Portzamparc promeuvent chacun les gratte-ciels comme antidote à l’étalement urbain, la majorité des architectes s’aventure sur un autre terrain : la Grande Couronne et le péri-urbain sont les territoires d’avenir, disent-ils, pour inventer un nouveau modèle de métropole.

“JUSQU’AU HAVRE”

“La métropole doit se construire sur une grande échelle. Il ne faut pas diaboliser le péri-urbain ni l’habitat individuel”, affirme Antoine Grumbach, architecte, fidèle à son projet de réaliser le Grand Paris “jusqu’au Havre”. Pour Pierre-Alain Trévelo et Antoine Vigier-Kohler, le modèle actuel du Grand Paris qui associe “ville compacte et objectifs chiffrés surévalués” risque d’échouer : les écueils sont, selon eux, la “gentrification” renforcée de Paris, la pression foncière sur la couronne verte et au final, une absence de résultat suffisant en terme de logements neufs en proche couronne.

En revanche, Béatrice Mariolle et Antoine Brès soutiennent que les franges de l’Ile-de-France offrent “un potentiel” de développement de “nouvelles formes d’habiter, innovantes et économes”, susceptibles même de devenir le “modèle” écologique pour la zone dense. L’architecte allemand Finn Geipeil développe l’idée d’une“ville légère” en périphérie de la métropole, qui combinerait “la micro-mobilité, les services de proximité, la production locale d’énergie, l’agriculture urbaine”.

VICES ET VERTUS DU PÉRI-URBAIN

Les architectes apportent de l’eau au moulin de certains grands élus UMP franciliens et de Jean-Paul Huchon. Le président (PS) de la région met en garde depuis longtemps les élus de la capitale et de la Petite Couronne contre la focalisation des objectifs de logement sur le cœur de la région. “Les propositions des architectes illustrent la nécessité de penser le logement dans toute l’Ile-de-France et pas seulement dans les territoires les plus denses”, a insisté, vendredi, Alain Amedro, vice-président (EELV) en charge de l’aménagement du territoire à la Région.

Afflublé de vices, rappellent François Leclerq et Yves Lion, le péri-urbain comportent pourtant une grande vertu, soulignent les deux architectes : “Il existe 20 000 hectares de foncier disponible” en Ile-de-France, calculent-ils. Soit deux fois la superficie de Paris. A laquelle s’ajoute du foncier “invisible” ou “mutable”. Richard Rogers évoque 2 000 hectares de “terrains somnolants” le long des voies ferrées et des grands axes routiers. L’architecte anglais propose d’y construire des “immeubles en Proximité de nuisance accoustique”.

HABITER SUR LE PÉRIPH OU LES PARKINGS ?

Les voiries peuvent même devenir des lieux habités, pensent certains architectes. Même près de Paris : au même titre que “les enceintes parisiennes successives ont toutes été absorbées”, indique Philippe Gazeau, le boulevard périphérique actuel peut devenir “un monument habité de 35 km libéré de toute circulation routière”, ose l’architecte. Il imagine remplacer la circulation sur le boulevard circulaire par “un maillage de bus et de mini-bus aussi performant qu’à Paris”. Sur le “périph”, 35 000 logements pourraient être bâtis pour 105 000 habitants, selon lui.

S’il est le seul à défendre l’idée, en revanche, comme David Mangin, M.Gazeau propose aussi de lotir d’habitations les parkings des centres commerciaux. “La superficie des parkings des plus grands centres commerciaux de l’agglomération équivaut à celle du 10e arrondissement de Paris”, calcule-t-il.

“REPENSER LE ‘CONCEPT’ DE PROPRIÉTÉ”

Dans le Grand Paris rêvé des architectes, il ne s’agit pas de gaspiller l’espace. Les habitants doivent apprendre à partager leur logement. Au delà du “co-housing”, modèle qui prévoit le partage de l’espace d’appoint (buanderie, chambre, salle de sport…), l’architecte Béatriz Ramo propose “des co-résidences” avec salle à manger, cuisine, salon communs, partagés dans un même immeuble par plusieurs occupants.

“Puisque le prix des logements conduit à en réduire la surface, nous devons repenser le ‘concept’ de propriété”, indique l’étude de son agence. “En 2009, les architectes rêvaient la métropole. Aujourd’hui, ils ont atterri, se félicite Bertrand Lemoine, directeur général de l’AIGP. Leurs propositions sont en prise avec la réalité et plus concrètes.”

Si elles restent volontiers agitateurs de concepts et pourvoyeurs d’études dans le cadre de l’AIGP, les quinze équipes attendent toutefois avec impatience que le gouvernement se penche enfin sur leurs idées. Et rende possible leur mise en œuvre. Même si elles sont iconoclastes.

Par Béatrice Jérôme

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